Energie noire, la grande inconnue
En 1998, le séisme est arrivé », raconte Pierre Astier, du Laboratoire de physique nucléaire et des hautes énergies1 : l'expansion de l'Univers s'accélère sous l'influence d'une mystérieuse énergie noire. Celle-ci compterait pour environ 70 % du cosmos. Et on ignore tout de sa composition. Jusque-là, on savait, dans le cadre de la théorie du Big Bang et à la lumière de la relativité générale d'Albert Einstein, que l'Univers se dilate de façon régulière sous l'impulsion d'une « explosion » initiale. Dès lors, le travail des chercheurs se résumait à recenser le contenu du cosmos afin de le « peser » et de déterminer si l'expansion pourra s'arrêter, sous l'influence de la gravité.
Mais voici sept ans, les idées ont été chamboulées. Deux équipes indépendantes ont fait leur entrée en scène : le Supernova Cosmology Project et la High-z Supernova Search Team. Et elles ont observé une cinquantaine d'explosions d'étoiles lointaines (échelonnées entre 1 et 6 milliards d'années-lumière) assimilées à des supernovae de type Ia, c'est-à-dire à des déflagrations nucléaires naturelles. Ces phénomènes rares sont baptisés « bougies de référence », car leur luminosité absolue est constante et l'on sait parfaitement déterminer leur distance par deux méthodes différentes. Or, lors des observations de 1998, les supernovae les plus lointaines ont une lumière plus faible2 que celle attendue dans un Univers dont l'expansion est uniquement due à la matière ; dès lors, une conclusion s'impose. L'apparente faiblesse de luminosité s'explique par l'éloignement de l'astre3. Sa galaxie hôte se trouve à une distance plus grande qu'on ne le pense. L'Univers doit donc s'être dilaté plus vite que prévu. Pour expliquer le phénomène, il faut donc « inventer » une mystérieuse énergie sombre qui donne un coup de fouet à l'expansion.
Cette découverte allait-elle ébranler la théorie du Big Bang ? « Pas le moins du monde. Elle ravive l'intérêt et ajoute du piment », rassure Pierre Astier. Depuis 1998, deux confirmations de l'accélération sont d'ailleurs venues renforcer l'hypothèse. Et « les derniers résultats en date indiquent que ce régime d'expansion prévaut depuis environ quatre à cinq milliards d'années, soit 35 % de l'histoire de l'Univers », précise le physicien, qui appartient au groupe de recherche créé par Reynald Pain, seul Français4 ayant participé à l'épopée américaine du Supernova Cosmology Project. Les chercheurs français utilisent maintenant plusieurs télescopes, dont le Canada-France-Hawaï et le Very Large Telescope européen du Chili. La chasse aux supernovae lointaines est devenue un enjeu majeur pour ces instruments d'observation. L'ambition ? « En débusquer par centaines », s'anime Pierre Astier. Ceci est incontournable si l'on veut estimer comment l'accélération de l'expansion a évolué par le passé. Certains physiciens voient dans cette force répulsive la signature de ce qu'ils baptisent « énergie du vide ». Celle-ci reflète l'incroyable effervescence quantique du cosmos à petite échelle. Explications : les scientifiques voient le vide – « ce qui reste lorsque l'on enlève tout » – comme un milieu bizarre. Le néant absolu n'existe pas. Il y apparaît sans cesse des particules et des antiparticules virtuelles. Ces objets se créent et se désintègrent aussitôt. Il leur est associé une énergie irréductible que l'on appelle « niveau fondamental » ou, plus sobrement, « énergie du vide ». Et, selon une expérience proposée en 1948 par le Hollandais Hendrick Casimir, l'énergie du vide se comporte comme une pression. Une force de répulsion. D'où l'idée de l'identifier à l'énergie noire, qui semble faire « éclater » l'Univers. Pour d'autres, si l'énergie sombre évolue dans le temps, elle pourrait correspondre à tout un zoo d'objets exotiques constituant la quintessence ou « cinquième essence », à côté des quatre forces fondamentales. On l'aura compris, le destin de tout le cosmos est en jeu. Il devient urgent de lever les ambiguïtés. Avec les projets en cours, l'équipe française envisage de détecter 600 nouvelles supernovae en cinq ans. De son côté, le télescope spatial Hubble a découvert seize supernovae en 2003. Que le meilleur gagne, dans la quête de l'énergie noire !
http://www2.cnrs.fr/sites/journal/fichier/8_big_bang.pdf
Frédéric Guérin
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